BRIL France-Yvonne

Dans une transparente lumière

France-Yvonne Bril est partie rejoindre Henri Sauguet

 
Jean Alain Joubert, octobre 2006

 

 

Nous ne devenons pas autres pour mourir.
J’interprète toujours la mort par la vie.
Michel de Montaigne

 

 

« Vous allez faire carrière dans la nécrologie », vont me dire certains ! Quand les années sonnent à notre porte, peut-on faire reculer le destin, la vie et son cours naturel, a-t-on le droit de ne pas saluer nos chers aînés ? Ce monde veut vite oublier, ainsi que le chantait Offenbach, sur sa propre destinée finissante, dans son ultime opérette, Belle Lurette1:

 

[…] Demain affiches nouvelles,
Aujourd’hui plus rien à voir.
Adieu, les amis, adieu, bonsoir !
On va souffler les chandelles.

Si de certains, on voudrait qu’il fût possible de les avoir ignorés, de quelques autres, il me paraît que nous ne devrions jamais effacer leur “sainte” et bienfaisante empreinte. Ainsi, je pense à Roger Delage, Marc Honegger, Pierre Ancelin, Adrienne Clostre et maintenant à France-Yvonne Bril.

Une nouvelle fois, en ce morose lundi 9 octobre, rassasiant en mauvaises nouvelles, j’apprenais par son amie Pierrette Germain-David, la disparition d’une autre grande Dame de la radio – de la grande époque de Radio-France, qui défendait si bien la musique française et où l’on osait faire entendre les compositeurs hors mouvance du « bocal Boulez/Ircam ».

De même que pour Adrienne Clostre, nous avions connu, Aurèle, Lionel et moi-même, France-Yvonne Bril, lors de la seconde partie du colloque consacré à Henri Sauguet, à Paris, en 2001. Cette manifestation était organisée par Présence Aquitaine Henri Sauguet, sous l’égide de son président Max Vidot, de madame Bouchet-Kervella et des éminents musicologues que sont Danièle Pistone et Bruno Berenguer.

Elle était, malgré ses soucis de santé et en particulier de graves difficultés de vue, venue une fois encore, nous parler de son ami Henri Sauguet. Elle fut, avec l’écrivain Marcel Schneider2, il faut s’en souvenir, l’une des toutes premières à parler de manière édifiante de Sauguet et de son œuvre. Il nous faut relire son texte remarquablement intelligent contenu dans le précieux Musiciens de tous les temps de la collection Seghers, publié en 1967. Mon exemplaire est celui que le compositeur adressait depuis sa maison de Coutras le 31 juillet 1967, « Au cher Robert Caby ». Autant dire la valeur sentimentale qui s’y trouve attachée ! Nous avons souhaité terminer notre hommage à la musicologue par un extrait de cet ouvrage.

Son intervention lors de ce colloque montrait sa fidélité au musicien affectionné, elle est disponible dans les actes de colloque3 publiés en 2003.

Ouvrons le triple numéro de La Revue musicale4 dédié à Henri Sauguet sous la direction du compositeur Pierre Ancelin qui m’en fit don. Ce n’est point une surprise d’y trouver un très beau texte sous la plume de France-Yvonne Bril, intitulé : Henri Sauguet et la musique lyrique.

Son intérêt n’était pas celui d’une dévote au culte de Sauguet, elle aimait plus largement la musique française contemporaine, celle qui touchait l’âme et le cœur.

 C’est ainsi qu’elle accepta avec une grande gentillesse et une admirable modestie de participer, en 2005, à notre hommage à Alexandre Tansman5.

Fidélité, disponibilité, simplicité, compétence, efficacité, voici quelques-unes des qualités de celle qui vient de nous quitter. Sa manière de dire répond à ce qu’énonçait Montesquieu en sa onzième Lettre persane : « Il y a certaines vérités qu’il ne suffit pas de persuader, mais qu’il faut encore faire sentir. ». Voici pourquoi je vous laisse au délice de ses propres mots ; ils vont vous enchanter tant son talent d’écrivain, d’une élégance raffinée où une vraie culture – telle qu’il n’en existe qu’infiniment peu – se fond dans le propos avec le charme de la poésie. Vous y percevrez l’art de France-Yvonne Bril pour « faire sentir » ; son souffle poétique n’a rien à envier à celui qui se déploie à travers toute l’œuvre de son ami Henri Sauguet qui, lui, fut notre Schubert français :

 

[…] Le vrai chez-soi d’Henri Sauguet, c’est sa maison de campagne : de vieux meubles
enfermant des bouquets séchés ;  une cuisine carrelée où l’on dîne face à l’âtre ;
un jardin fruité, fleuri, feuillu ; des murs chargés à l’intérieur de tableaux
et de dessins ; à l’extérieur de chèvrefeuilles et de lierres ; des sols adoucis ici de tapis,
là de pelouses ; une accumulation de bibelots qui, tous, rappellent un souvenir
ou racontent une histoire ; un vrai grenier encombré de malles et de mystères. Tant d’années passées,
tant de pensées enfermées, sont-ce elles qui ont tout imprégné de leur odeur ? On la hume avec délices
et sans lassitude, mélange des senteurs les plus subtiles,
où celles des fleurs rejoignent le parfum de la maison renfermée sur elle-même.
Elle ne surprend pas le visiteur déjà préparé à ce charme par le charme du voyage ;
elle vient à sa rencontre insensiblement.
De Paris, on traverse l’Île-de-France, le Val-de-Loire, le Poitou,
avant de s’engager du côté de la Gironde.
On longe tout à tour des champs de blés et des vignobles, doubles symboles de la richesse
et de la noblesse du sol ; on suit l’itinéraire du plus ancien pèlerinage,
celui qui menait à Saint-Jacques-de-Compostelle  par le détour de centaines d’églises romanes ;
on traverse les provinces où le parler est le plus pur, l’air le plus doux, la lumière la plus transparente.
Et lorsqu’on arrive, si ce n’est plus la froideur du pays d’Oïl,
ce n’est pas encore l’exubérance du pays d’Oc.
La volupté existe,  mais ici elle doit se teinter de réserve et de pudeur.
Par celle de Joachim du Bellay,
on atteint à la province de Montaigne et de Montesquieu.
C’est alors la découverte, à quelques kilomètres de Coutras, parmi les arbres,
de l’odorante et vieille maison :
le calme, ici un étang, là le cours nonchalant de la Dronne,
une mare somptueusement vêtue de lentilles d’eau,
plus loin une charrette de foin qu’on dirait échappée d’un tableau de Le Nain,
tout participe à l’harmonie du cadre prometteur
de l’existence à laquelle on est convié6.
  

1. Jacques Offenbach, Belle Lurette, (opérette en 3 actes, 1880), Acte III, Couplets, no 22 de la partition.
2. Marcel Scheider, Henri Sauguet (Paris : Ventadour, Notes sans musique – paroles sans musique, 1959).
3. France-Yvonne Bril, Henri Sauguet dans tous ses états in Henri Sauguet, amitiés artistiques, actes de colloque (Anglet, Atlantica, 2003), p.107.
4. Henri Sauguet, l’homme et l’œuvre, sous la direction du compositeur Pierre Ancelin, Inspecteur Général de la    Musique de la Ville de Paris (Paris : La Revue Musicale, triple numéro 361-362-363, 1983).
5. Alexandre Tansman ou l’expression et l’équilibre (Montrem : Les Amis de la musique française, Musiciens français no 9, 2005 – disponible auprès de l’association).
6.France-Yvonne Bril, Henri Sauguet (Paris : Seghers, Musiciens de tous les temps, 1967), p. 14s.
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Extrait du document : Semaine Internationale d’art contemporain de ROYAN. Concert par l’Orchestre Philharmonique de la Radio-Télévision-Française, vendredi 10 juillet 1964.

 

 

Portfolio

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